Cyber-base de Decize

Je me plaignais récemment haut et fort de l’apparition d’articles n’ayant rien à voir (de près ou de loin) avec l’informatique sur certains sites consacrés à notre noble passe-temps (celui qui consiste à rester, la bouche béante, devant un écran en cliquant frénétiquement sur un gros bout de plastique). Vous allez avoir la furieuse impression, en lisant le début de cet article, qu’à force de voir la paille dans l’oeil du voisin, j’ai oublié l’Empire State Building qui était planté dans le mien.

Vous aurez tort.

Je vous parle bien d’informatique, et en particulier d’internet et de révolution de la communication. Mais lisez plutôt ce qui suit et vous vous ferez votre propre idée.

Si vous suivez certaines séries américaines, vous n’ignorez peut-être pas que les Etats-Unis ont subi récemment une grave crise dans le secteur du divertissement : la grève des scénaristes. C’est pourquoi certaines sériez habituellement diffusées en 24 épisodes n’en comptent cette année que 12 ou 14.

La grève résultait de plusieurs constats. Entre autres, certains scénaristes se sont rendus compte qu’ils n’étaient pas rémunérés et respectés à la hauteur du travail qu’ils faisaient. Parmi eux, Joss Whedon, auteur de la très célèbre série Buffy contre les vampires.

Le problème de Whedon (entre autres), c’est que malgré le succès interplanétaire de sa série, il est toujours bridé par les studios. En témoigne le semi-échec de sa pourtant excellente autre série Firefly, qui fut interrompue au bout d’une saison car jugée peu rentable, malgré un niveau de qualité particulièrement élevé.

Whedon imagina donc un moyen de contourner le circuit de distribution habituel : il s’agissait de produire une mini-série (3 épisodes d’un peu moins d’un quart d’heure chacun) qui serait diffusée gratuitement sur internet (sur le site www.drhorrible.com) les 15, 17 et 19 juillet. Au soir du 20 juillet, la série disparaîtrait d’internet "comme un fantôme dans la nuit" (ce sont les propres mots de Whedon) et serait disponible en téléchargement payant par l’intermédiaire de plates-formes comme i-Tunes, et ce, pour une somme modique. Le but était également de produire, de jouer et de filmer une mini-série pour un budget très bas.

Le résultat, c’est Dr Horrible’s singalong blog : le faux blog vidéo d’un supervilain un peu raté qui se fait régulièrement tabasser par son ennemi juré, le superhéros Captain Hammer. Ca dure 15 minutes à chaque fois. Ca parle de superhéros. Les effets spéciaux sont bien fauchés mais très judicieusement utilisés (et ils me donnent des idées d’ateliers Adobe Premiere). C’est une comédie musicale ( !). Autant dire que c’est voué à l’échec.

Et c’est tout simplement génial.

Malheureusement, à l’heure où j’écris ces lignes, la série va bientôt disparaître d’internet pour passer à la version payante. Par ailleurs, elle est en anglais non sous-titré, ce qui risque d’en arrêter plus d’un.

Mais ce qui est important, c’est que l’avenir de ce projet va déterminer un tout nouveau mode de distribution sans intermédiaire pour les auteurs et leurs oeuvres, même si les tentatives dans ce sens sont encore timides (on pense au dernier album de Trent Reznor, fondateur de Nine Inch Nails, disponible en téléchargement gratuit). Qu’en sera-t-il de la localisation ? Peut-on espérer une traduction, une distribution en France par le même biais ? En plus de l’hilarant spectacle du pauvre Dr Horrible, nous assistons à une mutation des modes de distribution, et ce n’est à mon avis que la première secousse qui risque bien d’ébranler le sacro-saint édifice des majors de la distribution...

Bonne chance, M. Whedon, bonne chance, Dr Horrible !